La SAMBAC a remporté à Paris, lors d’une vacation organisée par la maison Rossini, le 13 juin 2019, un séduisant portrait. Selon la tradition familiale transmise par les derniers propriétaires, lointains cousins du modèle, la jeune femme ainsi représentée en costume de fantaisie rose et mordoré, et tenant un tambourin, était réputée se nommer Anne-Louise d’Amphernet de Pontbellanger : fille de Jean-Baptiste d’Amphernet (v. 1651-1707), baron de Montchauvet et d’Arclais, chevalier d’honneur au baillage et siège présidial de Caen, elle avait épousé en l’église Saint-Jean, le 23 janvier 1713, un des descendants du grand poète caennais Jean Vauquelin de La Fresnaye (1536-1607), à savoir Jean-Jacques Vauquelin (v. 1687-1760), seigneur puis 1er marquis de Vrigny, lequel tint également la charge de maire de Caen durant les années 1750 jusqu’à sa mort. Nous avons immédiatement reconnu dans ce tableau que le catalogue donnait anonymement à l’école française de la première moitié du xviiie siècle la manière caractéristique de celui qui fut, certes un rang derrière Robert Le Vrac Tournières (1667-1752), le portraitiste caennais le plus remarquable dudit siècle : Pierre Lesseline. Avant-guerre, le musée possédait deux effigies dues à cet élève de Jean II Restout (1692-1768), dont l’activité dans notre ville est attestée par les rôles d’imposition des dixièmes et vingtièmes de la paroisse Saint-Pierre entre 1741 et 1773, date probable de sa mort. S’il semble avoir alors été le peintre préféré des notabilités féminines de Caen, sa renommée – contrairement à celle de Tournières qui eut une carrière nationale – ne dépassa jamais les étroites limites de la capitale bas-normande et de ses immédiats environs : aussi cet artiste n’est-il jusqu’à ce jour répertorié dans aucun dictionnaire artistique. Notre intuition fut confirmée par la découverte, la veille de la vente, d’une signature et d’une date judicieusement reportées au revers de la toile de rentoilage : « Peint par Lesseline / 1749 ». Or, morte en février 1760 « âgée d’environ soixante-et-cinq ans » selon son acte de sépulture retrouvé dans les registres paroissiaux de l’église Saint-Jean, Anne-Louise d’Amphernet serait donc née vers 1695 : ainsi approchait-elle en 1749 de 55 ans, âge qui ne coïncide pas avec celui de la jeune femme ici représentée. Le modèle pourrait néanmoins être identifié à l’une des trois filles du couple marquisal de Vrigny. Ayant épousé en juillet 1735 Jules-Pierre du Moustier de Canchy (1717-1737), seigneur de Goustranville, l’aînée Catherine-Anne-Élisabeth Vauquelin de Vrigny (1715-1748) mourut en mai 1748, avant, par conséquent, d’avoir pu poser devant le chevalet de Lesseline. La benjamine Louise-Jacqueline-Marie-Michèle Vauquelin de Vrigny (1718-apr. 1756) s’unit à Caen en janvier 1756 à Louis Le Forestier (v. 1729-1758), seigneur de La Bellière, chevau-léger de la garde ordinaire du roi, mais restée veuve et sans descendance dès mars 1758, elle ne présente aucun lien successoral avec les anciens propriétaires du tableau, contrairement à la seconde sœur, Françoise-Charlotte-Louis Vauquelin de Vrigny (1716-1795), laquelle convola en justes noces, en novembre 1755, avec Charles-Louis-Tanneguy de Glapion (1706-1760), seigneur de Véranvilliers. Ce sont les traits de celle-ci, alors âgée de trente-trois ans, que nous proposons donc de retrouver sur la toile de Lesseline.
Leur fils aîné, Louis-Charles de Glapion (1756-1817), seigneur de Véranvilliers, s’éteignit sans union ni descendance, léguant ses biens (dont probablement le portrait de sa mère par Lesseline) à son seul cousin et parent survivant, Antoine-René Vauquelin (1762-1828), 3e et dernier marquis de Vrigny, dont la succession, fort disputée, passa en grande partie à la noble famille des précédents propriétaires.