L’un des fonds les plus régulièrement enrichis depuis une dizaine d’années est assurément celui des œuvres sur papier représentant des vues de Caen, lesquelles constituent autant de précieux témoignages de l’ancien aspect de la ville avant les destructions de l’été 1944. En juin 2017 puis en février 2019, les Amis achetèrent pour le musée, respectivement auprès des galeries parisiennes de Didier Martinez et de Christian Le Serbon, deux ensembles de quatre dessins à la mine de plomb chacun : réputés provenir du fonds de l’ancienne maison d’édition Charpentier alors en cours de dispersion, ils figurent des monuments emblématiques de Caen au milieu du xixe siècle. Bien que non signées, ces feuilles, en raison tant de leur technique méticuleuse dans les rendus architecturaux que de la graphie des inscriptions situant chaque paysage, peuvent être données à l’artiste saumurois Félix Benoist (1818-1896), lequel fut, à partir de 1839, le principal collaborateur de la société fondée en 1822, à Nantes, par Pierre-Henri Charpentier (1771-1854) et son fils et associé Henri-Désiré (1806-1883). Souhaitant profiter de l’engouement pour les albums de vues topographiques et pittoresques qui fleurirent en France à la suite de la publication, en 1820 et 1825, des deux premiers volumes (consacrés à la Haute-Normandie) des Voyages pittoresques et romantiques du baron Taylor, les Charpentier firent paraître ensemble plusieurs ouvrages illustrés à vocation régionale : La Galerie armoricaine en 1848, Nantes et la Loire-Inférieure en 1850 et La Normandie illustrée en 1852. C’est sans doute en préparation de ce dernier recueil que le prolifique Benoist arpenta les cinq départements normands au début des années 1850, ramenant des villes et sites visités de très nombreux dessins préparatoires : des vues de l’église Saint-Nicolas prise de la rue du même nom, de l’église Saint-Jean enchâssée dans le tissu urbain, ou encore de l’église Saint-Étienne-le-Vieux gardent ainsi le souvenir de son passage à Caen. Toutefois, parmi les feuilles alors acquises, seules celle figurant l’abbaye-aux-Dames et l’église Saint-Gilles – par ailleurs exécutée d’un trait plus abouti et rehaussée de gouache blanche – et une autre montrant le chevet de l’église Saint-Pierre alors baigné par l’Odon furent retenues par les éditeurs nantais pour constituer deux des cinq planches qui devaient synthétiser les principaux monuments militaires, religieux et civils de Caen, et accompagner un texte de Georges Mancel (1811-1862), conservateur de la bibliothèque de la ville. Ainsi furent-ils lithographiés par les graveurs Eugène Cicéri (1813-1890) et Philippe Benoist (1813-1905), après qu’Adolphe Bayot (1810-1866) ait complété la composition par de pittoresques figures normandes. Quant au dessin représentant la façade de l’abbaye d’Ardenne, près de Caen, également sélectionné pour illustrer l’arrondissement de Caen, il fut lithographié par Auguste Mathieu (1810-1864), les personnages étant réalisés par Jules Gaildrau (1816-1898). Enfin, deux des feuilles furent probablement réalisées au cours du second voyage que Félix Benoist entreprit en Normandie, en 1866 : il traça alors à nouveau le chevet de l’église Saint-Pierre, mais amputé d’une partie de ses attraits par suite du couvrement de l’Odon par un boulevard entre 1860 et 1863. Depuis l’actuelle rue du Belvédère, dominant l’ancienne carrière du Rocher et la gare inaugurée en août 1858, Benoist a en outre croqué le profil général de la ville et de ses clochers que domine, émergeant au milieu d’un bouquet d’arbres, une étrange et mystérieuse tour, sorte de phare d’Alexandrie dont aucun plan ni vue ancienne ne semble garder trace : s’agirait-il d’une inhabituelle fantaisie de l’artiste ?
Au lot vendu par la galerie Le Serbon était par ailleurs jointe une charmante aquarelle par le Rouennais Théodore Mansson (1811-1850). Exposant au Salon, de 1834 à 1849, de nombreuses feuilles de paysages urbains ou d’architectures religieuses, il exécuta plusieurs dessins à Caen qu’il lithographia ensuite lui-même, notamment une perspective intérieure des chapelles absidiales de l’église Saint-Pierre pour Le Moyen Âge monumental et archéologique publié chez Hauser, à Paris, en 1843-1844, ou encore une vue extérieure du chevet de cette même église, éditée chez Hackert, à Rouen, en 1844. Probablement peinte durant ces mêmes années, notre petite aquarelle mêle le rendu précis de la dentelle de pierre de l’abside centrale de Saint-Pierre avec une vision romantique de ce qui était au xixe siècle le motif pittoresque caennais par excellence : le mur de la sacristie est ainsi transformé en une imposante porte fortifiée, tandis que deux clochers gothiques émergent de derrière la masse du pont Saint-Pierre.